Le déventement en cyclisme

Jacques Fine
Septembre 2015

La résistance de l’air est à l’origine de la force de loin la plus importante que le cycliste doit vaincre pour rouler, force dénommée « trainée aérodynamique ».

Cette force est en effet proportionnelle au carré de la vitesse du vent et la puissance à fournir pour avancer est proportionnelle au cube de la vitesse du vent apparent, c’est-à-dire de la vitesse du cycliste en l’absence de vent réel.

Ces notions sont explicitées dans le document « Le vélo en équation ».

Ainsi, par temps calme, un cycliste de 80 kg, compte-tenu du frottement des pneus sur la chaussée, aura besoin de développer une puissance de 48 watts s’il roule à 15 km/h mais s’il veut rouler à 30 km/h, donc à une vitesse double, il devra développer 182 watts.

L’air est dévié par l’ensemble vélo-cycliste et il se forme derrière le cycliste une dépression et des turbulences que nous appellerons « zone de déventement » terme faisant plus partie du vocabulaire marin que du jargon cycliste, et il n’est nul besoin de faire de grands discours pour dire qu’un cycliste roulant dans cette zone bénéficiera d’un « abri » qui lui permettra de réduire très notablement son effort.

Les cyclistes profitent largement de cet abri, notamment en « suçant » la roue du concurrent, pour mieux maitriser la course ou en roulant en peloton.

L’objet de ce document est de faire une approche quantitative de l’économie de puissance réalisée en se plaçant dans la zone de déventement.

La théorie

Adoptons les mêmes unités que dans le document « Le vélo en équation » qui sont des unités familières aux cyclistes, soit :

En l’absence de vent, par temps calme, un cycliste roulant en solitaire affrontera un vent apparent dont la vitesse est égale à sa vitesse V. La résistance à vaincre F1 est donnée par :

form1

S’il suce la roue d’un collègue, il sera déventé, la vitesse du vent apparent ne sera plus égale à V mais sera inférieure. Désignons par Va cette vitesse. La résistance à vaincre est donnée par :

form1

Nous appellerons « taux de déventement » le rapport T défini par :

form1

Ainsi, si Va=V, c’est-à-dire s’il n’y a aucun déventement, le taux T est égal à 0.

Si le taux T est de 50%, cela voudra dire que le cycliste n’est soumis qu’à un vent dont la vitesse est la moitié de celle correspondant au vent auquel il serait soumis s’il roulait en solitaire.

Si Va=0, c’est-à-dire si le cycliste ne ressent aucun vent, ce qui hélas n’est guère possible, le taux T est de 100%.

Avec cette définition de T, la résistance à vaincre F2 est donc :

form1

La puissance développée par un cycliste en solitaire est donnée par la relation :

form1

et la puissance dans le second cas est :

form1

L’économie de puissance sera donc égale à (relation [1]) :

form1

Dans le cas où il existe du vent dont la vitesse est Vr , pour mémoire seulement car nous ne développerons pas cette situation, le taux de déventement T est donnée par :

form1

Application 1. Economie de puissance en valeur absolue.

Prenons un cycliste standard caractérisé par un poids de 80 kg (cycliste et vélo), un coefficient de pénétration dans l’air de 0.2 et roulant sur une route plate dont le coefficient de frottement est de 1%.

L’économie de puissance en valeur absolue, c’est-à-dire l’économie exprimée en watt est donnée par la relation [1].

Remarquons que cette économie ne dépend pas du poids du cycliste mais seulement de son coefficient de pénétration dans l’air. Elle ne dépend pas non plus des caractéristiques de la route (pente et coefficient de frottement).

Sur la figure 1, on a tracé une série de courbes donnant l’économie de puissance en fonction du taux de déventement et cela pour différentes valeurs de la vitesse du cycliste.

Ainsi, on peut voir qu’un cycliste roulant à 30 km/h derrière un collègue qui induit un déventement de 50% économisera une trentaine de watt. S’il roule à 50 km/h, il économisera 130 watt environ.

fig1

Application 2. Economie de puissance en valeur relative.

Exprimer l’économie de puissance en watt n’est peut-être pas très parlant. Aussi, sur la figure 2, on a tracé une série de courbes donnant l’économie de puissance exprimée en pour cent par rapport à la puissance que le cycliste devrait développer en solitaire.

Ce pourcentage est égal au rapport :

form1

Ce rapport dépend non seulement de Cx mais aussi de la pente p et du coefficient f de la chaussée.

On constate, par exemple, qu’un cycliste suçant bien la roue de celui qui le précède à la vitesse de 30 km/h et en bénéficiant d’un taux de déventement de 50%, fera une économie de puissance approchant les 50% : c’est une valeur très importante.

fig2

Application 3. Si un cycliste route en solitaire à une vitesse V1, à quelle vitesse V2 roulera-t-il s’il est déventé, sans exercer plus d’effort ?

Cette question est une question très pratique. En effet, si vous ne pouvez dépasser une vitesse V1 en roulant seul, par exemple 20 km/h et si un ami, beaucoup plus costaud que vous roulant à la vitesse V2, vous invite à une sortie, pourrez-vous le suivre en vous plaçant dans son sillage ?

A la vitesse V1, le cycliste développe une puissance P1 donnée par la relation :

form1

A la vitesse V2 avec un taux de déventement égal à T, le cycliste développe une puissance P2 donnée par la relation :

form1

Il suffit d’écrire que P1=P2 pour définir le taux de déventement nécessaire.

Sur la figure 3, on a tracé une série de courbe donnant la vitesse V2 en fonction de la vitesse V1 pour différents taux de déventement.

Ainsi, par exemple, on peut voir qu’un cycliste roulant seul à 30 km/h pourra rouler à 40 km/h si le taux de déventement est proche de 40%.

fig3

Estimation du taux de déventement

Les applications ci-dessus montrent bien qu’il est nécessaire de connaître le taux de déventement si l’on veut tirer de la théorie des renseignements pratiques.

Pour cela, on peut mesurer la vitesse du vent apparent derrière un ou plusieurs cyclistes roulant à une vitesse donnée.

Ce type d’essais peut se faire de façon plus scientifique en soufflerie. Un tel appareillage n’étant pas à la portée de chacun, nous avons mené des expériences en utilisant le vent naturel.

La procédure de ces tests (voir figure 4) a consisté à placer un cycliste à l’arrêt face au vent et à mesurer la vitesse du vent derrière le cycliste au moyen d’un anémomètre et cela, à différentes distances du cycliste.

fig4

Le site du test était un bord de mer, le vent venant du large, donc sans obstacles apparents.

Une première constatation s’est imposée: le vent réel est loin d’être constant. C’est pourquoi, ne disposant que d’un seul anémomètre, le protocole des essais a été le suivant :

Les résultats de tests sont présentés sur les figures 5 et 6. Ils permettent d’apporter une réponse plus ou moins précise aux questions suivantes.

A quelle distance d’un cycliste, ne peut-on plus compter sur un déventement ?

Sur la figure 5, on peut constater que le vent mesuré en position 3 est égal au vent réel mesuré en position 0. Nous en concluons qu’il ne faut plus compter sur un déventement si l’intervalle entre les deux cyclistes est égal ou supérieur à la longueur de 2 vélos. C’est évidemment la position 1 qui induit le meilleur déventement mais celui-ci n’est pas nul si l’intervalle ne dépasse pas la longueur d’un vélo.

On notera cependant que cette conclusion concerne le déventement créé par un seul cycliste. Il n'est pas exclu que cette zone s'étende un peu plus loin dans le cas de plusieurs cyclistes roulant de front formant une sorte de barrière de largeur notable.

fig5

Quel est l’ordre de grandeur du taux de déventement derrière un seul cycliste ?

Sur la figure 5, on peut voir qu’en position « roue sucée », la moyenne du vent réel s’est établie à 28 km/h, ce qui simule un cycliste roulant à 28 km/h, et la moyenne du vent derrière le cycliste a été de 16 km/h. Le taux de déventement s’établit donc à (28-16)/28 soit 43%.

En position 2, on a mesuré une moyenne de vent de 16 km/h pour un vent réel de 21 km/h, d’où un taux de déventement de 24%.

En position 3, la moyenne du vent mesuré et celle du vent réel ont été pratiquement égales, le taux de déventement est donc nul.

On notera que ces valeurs ont été obtenues avec un certain vent réel. Il n'est pas impossible que le taux de déventement soit fonction de la force du vent, c'est-à-dire de la vitesse du cycliste. Les conditions météorologiques lors de nos essais ne nous ont pas fourni une large gamme de vent.

Quel est l’ordre de grandeur du taux de déventement derrière deux cyclistes ?

La figure 6 présente les résultats non plus derrière un seul cycliste mais derrière deux cyclistes. Le test simule donc deux cyclistes roulant de front, séparés d’environ 0.5 m, et un troisième cycliste roulant derrière eux en position 1.

La moyenne du vent réel a été de 32 km/h et celle mesurée en position 1 de 10 km/h. Le taux de déventement s’établit à (32-10)/32 soit 69%.

Ce taux est évidemment très important, les abaques de la figure 2 montre qu’un cycliste ainsi abrité, roulant à 30 km/h, fera une économie de puissance approchant 60%, par rapport aux deux cyclistes qui sont devant. La randonnée sera pour lui une simple « balade ».

Nous n’avons pu multiplier les tests avec trois, quatre cyclistes pour simuler le déventement à l’intérieur d’un peloton.

fig6

Conclusions

L’examen théorique ainsi que les tests effectués montrent, s’il en était besoin, l’importance du déventement en cyclisme.

Les mesures entreprises sont très incomplètes et manquent certainement de rigueur scientifique. Elles méritent d’être plus développées suivant le même protocole qui peut être amélioré ou suivant d’autres techniques telles que la soufflerie. Nous n’avons pas réussi à trouver des résultats publiés sur ce sujet.

L’importance pratique du déventement est importante. Un cyclotouriste pourra aller plus loin et plus vite s’il fait partie d’un groupe ou d’un Club et sait se positionner pour économiser son énergie.

Quant aux professionnels, ils sont rodés en ce domaine, en suçant la roue d’un concurrent prêt à le dépasser au moment opportun, en roulant en peloton serré, en abritant le leader d’une équipe durant une grande partie de la course et en le libérant au bon moment. On peut penser que l’équipe SKY du Tour de France 2015 était parfaitement entraînée à ce type d’exercice.





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